14 nov.
En République démocratique du Congo (RDC), les grandes sociétés publiques, telles que la Gécamines ont été gravement touchées par la crise économique des années 1990, leurs difficultés affectant également nombres d’entreprises qui dépendaient d’elles. Pour relancer la production du pays, l’État congolais décida au cours de l’année 2002, avec l’appui de la Banque mondiale, de les restructurer profondément, exigeant, entre autres, la programmation de départs « volontaires » dont le premier contingent concernait 9 800 agents sur un total de 23 484 personnes, soit 41,73 % des effectifs [Dibwe dia Mwembu, 2003].
D’autres entreprises privées et étatiques imitèrent cette politique d’« assainissement » en mettant leurs salariés en congé technique ou en les licenciant massivement : c’est le cas de la Société nationale d’électricité (SNEL) ou encore de la Banque commerciale du Congo notamment. Dans les entreprises qui n’ont pas appliqué pareille politique, les employés ne sont pas payés régulièrement : à la Société nationale des chemins de fer du Congo (SNCC), les agents totalisent plus de 70 mois de non-paiement des salaires. Régulièrement, ses employés organisent des mouvements de grève tentant de négocier le règlement d’une ou deux mensualités. Quant aux fonctionnaires de l’État, la grande majorité perçoit un salaire modique. Seules certaines catégories d’entre eux, notamment les enseignants de l’université, ont connu une amélioration de leur traitement qui est passé de 300 à 2 000 dollars américains par mois.
Malgré ce contexte marqué par les difficultés et l’incertitude, quelques diplômés trouvent tout de même un emploi salarié. Leur insertion professionnelle passe par un « bon réseau de connaissances et d’appuis sûrs, le sens de l’opportunisme et la capacité à changer rapidement le fusil d’épaule quand les choses tournent mal » [Petit, 2003]. Le pays souffre en effet de l’absence d’une politique encourageant les investissements créateurs d’emplois, du non-respect de la législation en matière de l’emploi, de la mauvaise gestion des ressources publiques et de l’échec des politiques d’ajustement structurel initiées par la Banque mondiale.
Dans cet article, nous nous intéressons plus précisément aux diplômés dans la ville de Lubumbashi [1]. Comment ceux-ci parviennent-ils à se faire embaucher dans un marché du travail saturé ? Pour répondre à cette interrogation, nous dépassons le paradigme de la formalisation du mode de recrutement pour développer une théorie des sociabilités [Marie, 1997 ; Bouju, 1999]. Autrement dit, nous étudions l’accès à l’emploi salarié comme un univers déterminé par des logiques informelles.
Parlant de l’informel, Gauthier de Villers [1996, p. 8-9] indique qu’il « désigne des formes atypiques (non conformes à des modèles culturels), composites (produites par hybridation, métissage de formes issues des matrices culturelles hétérogènes) et ambiguës, polysémiques (se référant à des codes culturels différents) ». Parler de l’emploi à Lubumbashi sous-entend deux dimensions : le travail salarié et celui informel qui regroupe une constellation d’activités (commerce, cambisme, commissionnaire, etc.). Ces activités de la débrouillardise sont, d’une part une extériorisation de la précarité économique, et d’autre part la conséquence de l’inaccessibilité pour les universitaires à l’emploi salarié. Dans un contexte socio-économique où il y a pléthore d’individus qualifiés et/ou l’offre d’emploi est insuffisante, chaque opportunité de travail est donc une source d’enjeux et de compétition.
En raison de l’approche qualitative de cette étude, nous avons enquêté sur 25 personnes que nous avons sélectionnées parmi 180 biographies recueillies par l’Observatoire du changement urbain (OCU) en 2008 et une étude sur la situation socio-économique des ménages en 2013. Ces biographies faisaient ressortir une constellation de petits métiers exercés par les jeunes diplômés sans emploi. Cette situation met en évidence le virage décisif qu’a connu la société lushoise, condamnée par la crise économique à se tourner vers l’informel. Pour constituer cet échantillon, nous avons fait un choix raisonné en ciblant les enquêtés qui ont accédé à un emploi salarié et ceux qui en recherchent. Avec ceux qui ont accepté de collaborer, nous avons réalisé des entretiens approfondis lesquels ont servi de matériel empirique.
Trois parties composent cet article. La première décrit la dynamique professionnelle à Lubumbashi et relève les changements intervenus dans les politiques d’emploi. La deuxième éclaire les coulisses de l’embauche des diplômés. La troisième, enfin, met en évidence les stratégies déployées par les diplômés pour leur insertion professionnelle.
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